"Être un bon communiquant ne suffit pas": pourquoi la plupart des marques de youtubeurs disparaissent après quelques années

Pour Marie Lopez, alias Enjoy Phoenix, c'est la douche froide. "C’est la dernière année d’Honestmind", lance la créatrice de contenus dans une vidéo sur Youtube, le 21 juillet dernier.
Honestmind, c'est la marque de mode éco-responsable lancée en 2021 par la youtubeuse beauté. Depuis quatre ans, elle propose des co-créations avec des marques éthiques. Avec un objectif: mettre en avant d'autres entreprises responsables. Mais Enjoy Phoenix peine à trouver des partenaires. Dans une récente publication Linkedin, l’entreprise affirme que sur les 40 marques avec qui Honestmind a collaboré, 10 ont fermé.
"On arrive à un stade où les gens ont du mal à mettre beaucoup d’argent dans des vêtements de slow fashion (...) Le projet, à terme, est voué à s'arrêter", déplore-t-elle.
La fermeture d’Honestmind est prévue pour septembre 2026. En attendant, ses fans pourront se procurer des vêtements imaginés cette-fois ci entièrement par la créatrice de contenus et ses équipes.
Comme Enjoy Phoenix, les créateurs de contenus sont de plus en plus nombreux à se lancer dans l'entrepreneuriat. Que cela soit dans l'agroalimentaire avec les pizzas Delamama de Mister V, dans la mode avec les collections de l'Hôtel Mahfouf de Lena Situations, dans la cosmétique avec Martine Cosmetics, la marque de Gaëlle Garcia Diaz, ou même le vin en canette avec Océane et la restauration avec Fast Good Cuisine: aucun secteur n'est épargné.
En France, cela fait une dizaine d'années que les premiers créateurs de contenus se sont lancés dans l'entrepreneuriat. D'abord motivés par le rêve de créer leur propre marque, un projet perçu comme "un aboutissement" pour de nombreux vidéastes, ces derniers tentent avant tout de diversifier leurs revenus.
"L'enjeu de la création de contenus, c'est de pérenniser et de stabiliser leurs revenus. Car avec l'influence, on ne sait jamais combien de temps cela va durer. Ils ont besoin d'anticiper l'avenir", observe Estelle Gueï, directrice de l'agence de communication digitale et influence 2GR, auprès de Tech&Co.
Le hic, c'est que la notoriété de ces stars du web ne garantit pas le succès en affaires. Et les échecs ne manquent pas. Dernier exemple en date avec Océane Amsler. L'influenceuse a lancé Maison Bagarre, sa marque de vin pétillant en canette en juillet 2024. Mais entre les problèmes de packaging, la recette trop sucrée, les retards de livraison et les restrictions de la loi Evin, tout ne se déroule pas comme prévu. Au total, seules 110 canettes ont été vendues malgré plus de 17.000 inscrits à la newsletter.
"Après plusieurs mois de réflexion et face aux défis rencontrés, j’envisage aujourd’hui de tourner la page", explique Océane Amsler dans une vidéo Youtube.
"Le challenge d’être entrepreneur est énorme. On se fait scruter et juger par tout le monde."
La jeune femme avait déjà lancé une première marque de vêtements en 2021, baptisée Coucou Guys. Depuis, la griffe, qui aurait fait "perdre de l'argent" à Océane, a mis la clé sous la porte.
Les incursions dans le prêt-à-porter ne sont guère plus encourageantes. Ainsi, Relics, la griffe de Math se fait des films, a fermé en moins d'un an. La marque de vêtements d'Amixem, Spacefox, n'a pas passé le cap des cinq ans, arrêtée en 2023, en même temps que Yoko, la collection de prêt-à-porter lancée en 2019 par Squeezie et son frère.
"C'était une superbe aventure. Mais on a sous-estimé le travail que ça représente d’avoir une marque", se souvient Squeezie dans le podcast Zack en roue libre. "C'est compliqué économiquement. C'est un temps de fou, ce sont des batailles avec les usines de production, c'était de la pression", liste le youtubeur, qui affirme avoir perdu des "centaines de milliers d'euros".
"Comme pour n'importe quel entrepreneur, l'aventure entrepreneuriale est compliquée pour les créateurs de contenus", insiste auprès de Tech&Co Émilie Le Guiniec, co-fondatrice du groupe de communication DBM et membre du comité exécutif de l’Union des métiers de l’influence et des créateurs de contenu (UMICC).
"S'ils partent en effet avec de l'avance, en misant sur leur notoriété auprès d'une audience déjà acquise, ils se retrouvent à gérer deux sociétés de front: l'influence et la deuxième marque", ajoute-t-elle.
Une double charge de travail difficile à gérer, donc. C'est justement pour ces raisons que la marque de cosmétiques Otrera Beauty, lancée par Sananas, n'a duré que quelques mois, malgré sa communauté de 2,7 millions d’abonnés. "Je n'arrivais pas à gérer le côté 'Sananas' tout en travaillant sur Otrera Beauty", détaille-t-elle dans une vidéo en 2022.
D'autant que "leur célébrité en ligne ne leur permet pas d'éviter tous les autres écueils de l'entrepreneuriat", complète Emilie Le Guiniec. "Lancer sa marque, c'est embaucher, gérer la rentabilité, savoir faire un business model…" Un équilibre difficile à trouver pour Louise Aubery. La vidéaste féministe, plus connue sous le nom de My Better Self, a lancé il y a quatre ans Je ne sais quoi, une marque de lingerie "inclusive et éthique".
"Le 24 novembre 2020, j'ai lancé Je ne sais quoi. J'avais 22 ans, et j'étais convaincue qu'une lingerie plus inclusive, plus responsable pouvait exister. Je n'avais aucune expérience dans l'industrie de la mode, mais une forte envie de faire bouger les choses", raconte la vidéaste, dans un communiqué sur Instagram.
Or, Je ne sais quoi a coulé, selon l'Informé. L'ensemble des salariés a quitté l’entreprise début 2024, sous la forme de ruptures conventionnelles ou de démissions. Le média d'investigation souligne la colère des abonnées, déçues de recevoir des produits de mauvaise qualité et un management jugé "malsain" par de nombreux employés. De son côté, Louise Aubery évoque une simple "pause d'un commun accord" ainsi que des "accusations et propos ou diffamatoires, ou partiellement représentatifs de la réalité".
"Les créateurs de contenus passent de professionnel du divertissement à celui d'entrepreneur. Ce n'est pas du tout le même métier et les mêmes logiques commerciales", résume Stéphanie Laporte, fondatrice de l'agence social média Otta à Tech&Co.
"Etre un bon communiquant ne suffit pas. Il faut savoir innover et se positionner sur des marchés parfois très concurrentiels."
D'autant que la moindre erreur peut coûter cher. "S'ils ne trouvent pas les bons partenaires, ou qu'ils sont mal conseillés, un mauvais lancement de marque peut compromettre leur réputation en ligne", insiste l'experte. Jaclyn Hill, une youtubeuse américaine, en a fait les frais en 2019. Lors du lancement de sa marque de cosmétiques, des centaines d'internautes se sont plaints de produits endommagés, voire pourris ou défectueux. De quoi entacher sa réputation de reine de la beauté pendant plusieurs années.
"Les créateurs sont nombreux à essuyer des plâtres car ce sont les premiers", souligne Emilie Le Guiniec. "Le marché des marques des créateurs de contenus en est encore à ses balbutiements. Mais il va arriver à maturité, les banques commencent à s'y intéresser." Un avis partagé par Estelle Gueï, la directrice de l'agence de communication digitale et influence 2GR.
"Pour réussir, les créateurs de contenus ont besoin d'être entouré et surtout de se former avant de se lancer dans l'entreprenariat", conseille-t-elle.
Une recette appliquée avec succès par Lena Situations. La papesse française des réseaux sociaux est, avant d'être influenceuse, diplômée d'une école de mode et de communication. Sa mère est également styliste. Une formation en un entourage très utiles au moment de lancer sa collection de vêtements Hotel Mahfouf, véritable succès chaque été. En mai dernier, son pop-up au BHV a séduit plus de 70.000 personnes. Le chiffre d'affaires a été deux à trois fois supérieur à celui d'une boutique éphémère classique.
Les aventures entrepreneuriales ont d'ailleurs plus de succès du côté de la food et de l'agroalimentaire, des secteurs qui demandent moins d'investissements que la beauté ou le prêt à porter. "Ce sont des business plus facilement industrialisables", note Stéphanie Laporte.
"Les prix, plus accessibles que des vêtements ou des cosmétiques, incitent également les consommateurs à tester ces nouveaux produits."
C'est le choix fait par Mister V. Le youtubeur a lancé en février 2022 les pizzas Delamama chez Auchan et Carrefour, des pizzas surgelées à moins de 5 euros. En six mois, 1,5 million avaient été vendues. En juin dernier, Tibo InShape a également installé sa marque de nutrition sportive Inshape Nutrition dans les supermarchés Carrefour. Là encore, le succès est au rendez-vous. "En un mois dans les Carrefour, ma marque InShape nutrition a généré 1.153.845 d'euros", s'enthousiasme-t-il dans une vidéo Tiktok.
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